Ang Lee, un cinéaste pionnier en quête de renouveau

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Tigre et Dragon, Le Secret de Brokeback Mountain, L’Odyssée de Pi… L’œuvre de Ang Lee, réalisateur taïwanais, est riche et éclectique. Dans son ouvrage : Ang Lee, Taïwan – Hollywood, une odyssée cinématographique, sorti le 10 juin 2021, Nathalie Bittinger, Maître de conférences en études cinématographiques, membre du laboratoire Approches contemporaines de la création et de la réflexion artistiques (ACCRA), revient sur son cinéma qui n’a cessé de muter et de se réinventer au fil des décennies.

"Ang Lee est une figure atypique mais incontournable, un précurseur des hybridations culturelles et esthétiques entre l’Orient et l’Occident, souligne Nathalie Bittinger qui a décidé de consacrer un ouvrage au cinéaste taïwanais émigré aux États-Unis parce qu’il reste assez peu étudié en France.

C’est un réalisateur caméléon, sa filmographie éclectique est jalonnée de virages et de changements de style. Des évolutions traduites par la structure chronologique du livre divisé en quatre parties, qui reviennent sur les lignes de force thématiques et esthétiques de son œuvre : la rencontre entre l’Orient et l’Occident, l’adaptation de grands romans occidentaux (Raison et Sentiments), la reconnaissance internationale dans des genres variés (Le Secret de Brokeback Mountain, Tigre et Dragon), puis la passion pour les révolutions technologiques (L’Odyssée de Pi, Un jour dans la vie de Billy Lynn). Ang Lee a débuté dans le giron du cinéma indépendant, avant d’alterner entre films intimistes et grosses productions hollywoodiennes. Il a fait découvrir le film d’arts martiaux chinois à un public mondial."

Il est l’héritier d’une histoire politique complexe. Persécutés, ses parents ont fui la Chine de Mao Zedong pour Taïwan, suite au massacre de leurs familles respectives. Ces fantômes de l’Histoire se retrouvent par bribes dans sa première trilogie. Elle met en scène les relations complexes entre un patriarche chinois, attaché à la tradition confucéenne, et une jeune génération, émigrée aux États-Unis ou attirée par la modernité occidentale.

Son père est un fervent défenseur des arts classiques, et l’on retrouve dans les films du cinéaste des références à la peinture, à la calligraphie, à la philosophie chinoise, entremêlées à des codes occidentaux.

« Premier baiser entre deux hommes du cinéma taiwanais »

Ang Lee ne cesse d’explorer la vie de personnages en marge de la société : femmes dépendantes d’un bon mariage dans l’Angleterre patriarcale du 19e siècle, cow-boys confrontés à l’homophobie dans Le Secret de Brokeback Mountain, jeunes gens jetés dans la tourmente de la guerre (La Chevauchée avec le diable, Lust, Caution). Avec Garçon d’honneur en 1993, il sera d’ailleurs le premier à mettre en scène un baiser entre hommes dans le cinéma taiwanais.

Son thème-phare est la répression des sentiments et des individus empêtrés dans des carcans moraux, sociaux ou politiques. Le cinéaste taiwanais scrute la manière dont ils tentent de s’affranchir et d’aller à la rencontre de leur propre subjectivité. Ce qui se traduit dans la mise en scène : Souvent, le cadrage oppresse les personnages, avant que leur corps ne se libère et qu’ils s’ébrouent dans de vastes espaces.

Ang Lee est un précurseur en termes de méthodes de financement (la coproduction internationale de Tigre et Dragon en 2000) ou d’expérimentations technologiques. À partir de L’Odyssée de Pi, il renouvelle l’usage de la 3D, puis accroît la cadence des images ou invente des créatures de synthèse crédibles. Ces effets spéciaux, il souhaite les mettre au service de l’immersion, du réalisme et de l’émotion. Comme dans le film Un jour dans la vie de Billy Lynn, consacré au stress post-traumatique d’un tout jeune vétéran de la guerre d’Irak. Il n’est jamais là où on l’attend, il transcende toutes les catégories, les genres, les esthétiques, conclut la chercheuse.

Zoé Fournier

Université de Strasbourg
Université de Haute-Alsace
CNRS
Réseau national des Maisons des Sciences de l'Homme