Appel à communication : Bjørnstjerne Bjørnson en Europe : un théâtre en jeu

Appel à communication

L’attribution du Prix Nobel de littérature 2023 au dramaturge norvégien Jon Fosse au nous donne l’occasion de revenir sur le parcours d’un de ses compatriotes qui a obtenu la même récompense en 1903 : Bjørnstjerne Bjørnson (1832-1910). Tantôt rival, tantôt proche de Henrik Ibsen (1828-1906) dont il était le contemporain, il ne bénéficie pas aujourd’hui de la même notoriété. Pourtant il eut de son vivant une aura considérable : à ses débuts, il contribua au mouvement du romantisme national et c’est à lui que l’on doit l’hymne national norvégien Ja, vi elsker dette landet [Oui, nous aimons ce pays] (1864). Il aborde aussi le roman et la critique littéraire et sociétale, traitant des enjeux de son temps avec notamment En fallit [Une faillite] (1875). La fin de sa vie le voit rejoindre le symbolisme avec Over Ævne [Au-delà des forces] (1883).

Bjørnson était de tous les débats de son époque et son œuvre fit débat. S’il est méconnu en France, il n’est pas à proprement parler un invisible, ni un oublié de l’histoire littéraire européenne. Il est en fait invariablement cité pour deux raisons : en tant qu’instigateur et promoteur de la « percée moderne » en 1871 et en tant qu’auteur d’En Handske [Le Gant], une pièce de théâtre qui connaît deux versions.

La « percée moderne » constitue pour partie une relecture critique du romantisme, ou plutôt d’un romantisme scandinave auquel Bjørnson reproche son désengagement des questions actuelles de société. Le Gant (dont la version de 1883 a été peu jouée, publiée et amplement commentée et celle de 1886 peu ou pas publiée ni traduite), interroge également une forme de naïveté ou d’idéalisme : Svava et Alfred s’apprêtent à se marier, mais lorsqu’elle apprend qu’il a eu une liaison avant leur rencontre, elle lui jette son gant au visage. Elle refuse la « double morale » qui veut que les femmes se trouvent méjugées lorsqu’elles ont plusieurs amours, quand les hommes reçoivent pour le même comportement indulgence générale voire encouragement. Une telle position suscite de vives réactions de la part des contemporains de Bjørnson et le sedelighetsdebatten [débat sur la moralité sexuelle] voit s’affronter par articles interposés, œuvres littéraires et mêmes dans des conférences les moralistes et les immoralistes partisans de l’amour-libre tels que August Strindberg (1849-1912).

On le connaît donc à la fois comme acteur de la percée moderne et initiateur du débat sur la moralité sexuelle, si ce sont deux repères commodes, ils sont toutefois parcellaires, voire réducteurs. Cette journée d’études entend donc les bousculer, en abordant l’œuvre et la trajectoire de l’auteur dans leur ensemble, occasion de remettre en perspective et peut-être à leur juste place ces points saillants.

Ainsi, la journée d’études, ne propose pas de revenir exclusivement sur la hanskestriden [querelle duGant], amplement traitée par la critique (Bredsdorff 1969/1973, Stenberg 1999, Tinderholt 1999). Néanmoins, la récente retraduction française du Gant par Corinne François-Denève (Avant-Scène théâtre, 2023) nous offre prétexte à revenir sur des aspects encore inexploités de l’œuvre comme par exemple les « théories surhumaines » (le mot est dans Le Gant) qui sous-tendent la pensée de Bjørnson. Il s’agit de sortir Bjørnson de son isolement scandinave afin de le mettre en perspective de diverses manières.

Les propositions d’une demi-page environ pourront ainsi porter sur ces axes, sans prétention à l’exhaustivité :

  • Bjørnson homme de théâtre européen (influence et critiques) : Bjørnson, directeur de plusieurs salles de spectacle, qui a voyagé en Allemagne, en Italie et en France (où il est mort), connaît bien le théâtre de son temps. Lecteur et spectateur de pièces de Kotzebue, de Scribe, d’Augier, contemporain de Catulle Mendès, de Shaw et d’Ibsen, Bjørnson comme « homme de théâtre européen » retiendra ici l’attention, ainsi que ses contestations critiques (auteur de pièces qui sont autant de dissertations scéniques, de théâtre dans un fauteuil, de dialogues philosophiques ou théories morales). Par exemple Le Gant tient du proverbe (Musset), du drame en habit noir et de la comédie (La Question d’argent de Dumas). Les influences romanesques pourront être également considérées dans cet axe.

  • Bjørnson homme de théâtre européen (réception et critiques) : L’œuvre de Bjørnson a été récompensée et valorisée jusqu’à obtenir un prix Nobel, mais qu’en est-il de la suite ? Il s’agira de se demander quelle réception, quelle canonisation a reçu son œuvre – en Norvège comme au-delà de ses frontières ? Pourquoi a-t-on le sentiment diffus qu’il a été oublié ? Des nouvelles générations de dramaturges nordiques comme Jon Fosse ou Sara Stridsberg jusqu’à la bande dessinée populaire (Øystein Runde et Geir Moen, De fire store: Når de døde våkner [Les Quatre Grands : Quand les morts se réveilleront], 2007), peut-on même parler d’un héritage de Bjørnson ?

  • Bjørnson mis en scène : On pourra s’interroger sur les mises en scène des pièces de Bjørnson en Europe et les interprétations auxquelles le théâtre de Bjørnson a donné lieu de son vivant jusqu’à aujourd’hui. Le romancier et le penseur Bjørnson éclipsent-ils l’auteur de théâtre ? Ses pièces apparaissent-elles comme datées à l’instar de celles d’autres auteurs européens de la fin du XIXe siècle (Henri Becque, Victorien Sardou), et pour quelles raisons ?

  • Le Gant et ses réécritures : Déçu par la réception de l’œuvre, qui manquait selon lui son but (la sympathie allait au personnage masculin), l’auteur l’a en effet réécrite, pratiquant une forme de réécriture « de plateau » dont l’audace d’écriture ou l’obédience au public voire le pragmatisme ou les modèles sont à évaluer. Des comparaisons entre les deux versions, ou bien des perspectives comparatistes avec d’autres pièces norvégiennes ou internationales (réécrites, modifiées, comme la fin de Maison de poupée d’Ibsen ou ayant fait scandale) seront les bienvenues. La réception par la presse estimant les personnages de cette pièce et d’autres de Villiers de l’Isle Adam ou Catulle Mendès, par exemple, « illogiques » ou leurs comportements « inutilement obstinés », « invraisemblables » engagera une réflexion sur les catégories et surtout les mots de la critique et leurs conséquences.

Informations

La journée d’études aura lieu en hybride le vendredi 24 mai 2024 à la Maison Interuniversitaire des Sciences de l’Homme – Alsace (Strasbourg). Les propositions de communication de 20 minutes (une demi page en .doc ou .pdf) devront être envoyées à rjamet[at]unistra.fr et guyots[at]unistra.fr au plus tard le 15 janvier 2024. Les communications pourront être données en français ou en anglais. Les propositions de doctorant-es sont chaleureusement accueillies.

La journée d’études est co-organisée par Raphaël Jamet et Solenne Guyot (UR1341 Mondes germaniques et nord-européens (Université de Strasbourg)), Corinne François-Denève (UR4363 ILLE (Université de Haute Alsace)) et Florence Fix (UR 3229 CÉRÉdI (Université de Rouen Normandie)). Un projet de mise en scène et lectures par des étudiant-es est en cours et pourrait se concrétiser lors de la journée d’études.

 

Université de Strasbourg
Université de Haute-Alsace
CNRS
Réseau national des Maisons des Sciences de l'Homme