Imposteurs, charlatans et faussaires dans la fiction des Lumières : aux marges du savoir, aux marges du pouvoir
« Vous me traitez dʼimposteur ! Et pourquoi ? […] Un imposteur est un fourbe qui veut en imposer aux autres pour son profit : et où est, je vous prie, mon profit dans cette affaire ? Les imposteurs sont, selon Ulpien, ceux qui font des prestiges, des imprécations, des exorcismes : or assurément je nʼai jamais rien fait de tout cela1 ». De cette éloquente définition de l’imposture, formulée par Rousseau à la fin de la Lettre à Christophe de Beaumont, on peut retenir trois idées majeures : l’origine sémantique de la notion d’imposture, ses domaines d’application privilégiés et sa valeur polémique. L’imposteur est, étymologiquement, celui ou celle qui impose (le XVIIIe siècle voit se diffuser, après Marivaux, la tournure « en impose »), du latin imponere alicui : « abuser quelqu’un », « lui donner le change » : c’est dire le lien entre imposture et rapport de pouvoir, ou plus précisément entre imposture et place (posture) – simulée, conquise, usurpée « pour le profit » du dupeur. Parmi les principales incarnations de l’imposture, Rousseau met l’accent sur les savoirs disqualifiés relevant des pratiques magiques, du prestige (entendu au sens d’« illusion par sortilège ») à l’imprécation. Enfin, cet extrait de la Lettre à Christophe de Beaumont montre combien les débats sur l’imposture s’inscrivent dans un contexte polémique : l’accusation d’imposture s’expose à être contestée ou renversée, étant l’objet d’interprétations conflictuelles. Que nous apprennent en particulier les cas de brouillage entre imposture et bonne foi, qui mettent à mal l’idéal de démystification fondé sur la distinction rassurante entre l’apparence et l’essence ?
Ce colloque portera sur les ambivalences heuristiques et idéologiques de la figure de l’imposteur en un siècle réputé marqué par la lutte contre les fausses évidences et l’élaboration d’un nouveau partage des savoirs.
