"Manipuler les fragments humains issus de catastrophes et leur donner corps" - Gaëlle Clavandier
Aborder la question du traitement, du statut et de la trajectoire des restes humains n’est pas chose aisée du point de vue de l’anthropologie et de la sociologie. Cela tient en la difficulté à saisir cet objet aux contours flous et en la variété des pratiques observables et des normes qui les régissent. Qui plus est une série d’évolutions – forensic turn, bio-politique déléguée, nouvelles sensibilités – a modifié la manière d’administrer, de catégoriser et de traiter ces restes humains. Dès lors, la tension entre réification et sacralisation ou entre destruction et conservation s’avère moins opérante et c’est dans les interstices que doit se porter l’attention du, de la chercheur.e.
À partir de la situation de la manipulation, de l’identification et du devenir des fragments humains issus de catastrophes (ici aérienne), il sera montré combien les situations liminales sont importantes à étudier. Qu’implique de restituer un « corps » à une famille ? Quelles modalités de relevage appliquer ? Pour quels types de fragments ou d’éléments humains ? Selon quels délais ? À quel coût financier et humain ? Quels conditionnements et quelle traçabilité mettre en œuvre pour chacun de ces éléments ? À propos des éléments humains non identifiés ou non identifiables quelle(s) destinée(s) est acceptable ? De ces situations pratiques se dégagent la nécessité de la formation de compromis mettant d’une part, en évidence les tensions normatives à l’œuvre et d’autre part, l’émergence de réponses qui sont jugées légitimes, ou acceptables dans un contexte donné. Or, la trajectoire posthume de ces restes humains correspond à ce qui peut s’observer sur d’autres terrains alors que les acteurs diffèrent et les enjeux également. Restituer de l’identité, de l’humanité, du corps à ce qui ne sont pas précisément des restes tend à orienter, si ce n’est à régir, la destinée des restes humains dans bien des contextes, ce à l’appui du droit et des sensibilités contemporaines.
Gaëlle Clavandier, professeure de sociologie et anthropologie, Université Saint Etienne, coordinatrice du programme ANR Co-funéraire
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